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Thomas Crapaud

  • sergepons
  • 28 août 2015
  • 3 min de lecture

Cinq jours après l'enterrement, Laura se retrouva dans sa chambre au-dessus de l'épicerie. Elle faisait ses valises et disait adieu à ce qui serait toujours son chez-elle.

Elle se reposa un instant et s'assit sur le bord du lit défait, essayant de se souvenir à quel point elle avait été heureuse ici, il y avait à peine quelques jours. Une centaine de livres de poche, surtout des histoires de chiens et de chevaux, se trouvaient dans la bibliothèque d'angle. Une cinquantaine de chiens, chats miniatures, en verre, porcelaine, cuivre, étain ornaient la tête de lit.

Elle n'avait pas d'animal, car les consignes d'hygiène interdisaient les animaux dans les appartements communiquant avec un magasin d'alimentation. Elle espérait avoir un chien un jour, peut-être même un cheval. Mais surtout, elle serait vétérinaire quand elle serait grande, elle soignerait les animaux blessés et malades.

Son père lui avait dit qu'elle pourrait faire tout ce qu'elle voudrait, vétérinaire, avocate, vedette de cinéma, n'importe quoi.

— Tu pourrais dresser des troupeaux d'élans, ou devenir danseuse sur échasses. Rien ne pourra jamais t'arrêter.

Laura sourit en revoyant son père imiter une balle­rine sur des échasses. Elle se souvint aussi qu'il était parti, et un immense vide l'envahit.

Elle vida les placards, plia soigneusement ses vête­ments et remplit deux grandes valises. Elle avait également une malle dans laquelle elle mit ses livres favoris, quelques jeux, un ours en peluche.

Nerveuse à la pensée de l'avenir incertain qui l'atten­dait, elle retourna à ses bagages. Elle ouvrit le tiroir de la plus proche des tables de nuit et resta figée sur place en voyant les petites bottes de lutin, le minuscule parapluie et l'écharpe miniature que son père s'était procuré pour lui prouver l'existence de sire Thomas Crapaud.

Il avait persuadé un de ses amis, un habile cordon­nier, de lui faire des chaussures assez larges pour convenir aux pieds palmés. Il avait trouvé le parapluie dans un magasin de babioles, et avait tricoté lui-même l'écharpe verte, travaillant laborieusement pour faire les franges. Le jour de son neuvième anniversaire, quand elle était rentrée de l'école, elle avait vu les bottes et le parapluie contre le mur, tout près de la porte d'entrée ; l'écharpe était soigneusement suspen­due au portemanteau.

— Chut, lui avait murmuré son père d'un ton théâtral. Sire Tommy vient juste de revenir d'une mission en Equateur pour le compte de la reine — elle a une ferme à diamants là-bas, tu sais, et il est épuisé. Je suis sûr qu'il va dormir pendant des jours et des jours. Enfin, il m'a quand même dit de te souhaiter un joyeux anniversaire de sa part et il a laissé un cadeau pour toi dans la cour.

Le cadeau, c'était une superbe bicyclette Schwinn.

En regardant les trois objets dans le tiroir, Laura comprit que son père n'était pas mort seul. Il avait emporté sire Thomas Crapaud avec lui, tous les person­nages qu'il avait inventés et toutes les histoires idiotes qu'il lui racontait pour l'amuser. Les bottes palmées, le minuscule parapluie et l'écharpe l'attendrissaient : elle arrivait presque à croire que sire Tommy avait existé pour de vrai, et que lui aussi était parti pour un monde meilleur. Un gémissement de tristesse lui échappa. Elle s'écroula sur le lit, enfonça sa tête dans les oreillers et, pour la première fois depuis la mort de son père, elle se laissa finalement aller à son chagrin et à ses larmes.

Elle ne voulait pas vivre sans lui, pourtant elle ne devait pas se contenter de vivre, mais faire de son mieux, car chaque jour serait une sorte de testament. Malgré sa jeunesse, elle comprenait que si elle s'effor­çait de faire le bien, son père continuerait à vivre à travers elle.

Pourtant, il lui était difficile d'envisager l'avenir sous un jour optimiste. Elle savait que la vie était terrible­ment exposée aux intempéries et aux tragédies, chaude et brillante à un instant, froide et orageuse un moment plus tard. On ne pouvait jamais prévoir le moment où l'éclair frapperait. Rien ne durait toujours. La vie n'est qu'une chandelle dans le vent. La leçon était sévère pour une enfant de son âge, et elle se sentait vieille, très vieille.

Dean R. KONTZ - Le temps paralysé.

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