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Le retour de la chèvre de Monsieur Seguin

  • sergepons
  • 29 août 2015
  • 6 min de lecture

Imaginons qu’aujourd'hui Alphonse Daudet revienne parmi nous ! Peut être aurait-il pu écrire une suite à l’histoire de sa petite chèvre, mais peut être pas comme je l'ai imaginée…

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Monsieur Seguin n’avait jamais eu de bonheur avec ses chèvres.

Non seulement il les avait toutes perdues de la même façon, mais le retour de Blanquette, sa petite dernière, redescendue de la montagne après quelques jours de cavale, et surtout le récit de son escapade, l’avait tourneboulé.

Décidément, les biquettes n’étaient plus ce qu’elles étaient…

Quand elle avait sauté par la fenêtre de l’étable, je soir où il avait oublié de la fermer, il avait bien tenté de rappeler sa chèvre avec sa trompe, mais elle n’était pas revenue et, comme pour les précédentes, M Seguin désolé, en avait pris son parti.

Quel ne fût donc pas l’étonnement du brave homme, lorsqu'il vit sa chèvre redescendre du flanc de la montagne, toute pimpante et guillerette.

Heureux de ce retour inespéré, il accueillit Blanquette avec une joie débordante, lui demandant tout ému, de bien vite lui raconter comment elle était parvenue à se sortir des griffes du loup !

- Le loup ? rétorqua Blanquette, dans un éclat de rire qui surprit monsieur Seguin. Peuh ! Il est mort le loup ! Fini ! Terminé ! Plus de loup ! On s’en est débarrassé.

- On ?

- Oui. Avec mes amis. Seule, bien sûr, je n’aurais sans doute pas survécu à la confrontation. En fait, nous étions tout un groupe. Mais que je te raconte… Je suis un peu redescendue pour cela.

……………………………………………..

Et voila brave gens, la suite de l’histoire de la chèvre de Monsieur SEGUIN, telle qu’on pourrait se la raconter aujourd’hui dans les chaumières.

……………………………………………..

« Quand je suis arrivé au sommet, commença Blanquette, ce fut un ravissement général. Je n’avais jamais rien vu d'aussi joli. On m’a reçu comme une petite reine. Les châtaigniers se baissaient jusqu'à terre pour me caresser du bout de leurs branches. Les genêts d'or s'ouvraient sur mon passage, et sentaient bon tant qu'ils pouvaient. Il me semblait que toute la montagne me faisait fête. J’ai parcouru de vastes étendues sauvages, broutant l’herbe verte, savoureuse, fine, dentelée, faite de mille plantes...

En chemin, j’ai rencontré un groupe de chamois. On a bavardé. On a ri. On s’est amusé. J’ai passé une journée insouciante et merveilleuse…

Puis, tout à coup le vent a fraîchi. La montagne est devenue violette ; c'était le soir. J’ai entendu un hurlement dans la montagne. J’ai repensé au loup, à ce que tu m’avais dit à son sujet, à tes mises en garde... De tout le jour je n'y avais pas pensé...

J’entendais ta trompe, en bas, dans la vallée. Mais il était trop tard. La nuit tombait et je n’avais de toute façon aucune envie de redescendre.

C’est alors que je l’ai vu. Deux oreilles courtes, toutes droites avec des yeux qui reluisaient.

Je me suis sentie perdue. J’ai pris mes pattes à mon cou et je me suis enfuie, terrorisée. Un peu plus loin, par chance, j’ai retrouvé, à l’endroit ou je les avais quittés, mes amis les chamois, qui s’étaient arrêtés pour la nuit.

Le loup n'était plus à mes trousses. Il avait abandonné la poursuite. J’ai trouvé cela curieux, car il aurait pu me rattraper facilement. J’étais morte de fatigue, épuisée par toutes ces roulades et ces gambades vespérales. Je me serais faiblement défendue et il n’aurait pas eu trop de mal à me terrasser.

J’ai raconté mon effrayante rencontre à mes nouveaux amis, leur faisant part de ma stupéfaction concernant la défection du loup.

Ils n’en furent pas étonnés…

- Ce n’est plus qu’un vieux loup solitaire, m’ont-ils dit. Un exclu, un oublié. Il n’y a presque plus de loups ici, dans cette partie de la montagne. Il t’a semblé effrayant, bien sûr, comme tous les spécimens de son espèce, surtout quand on le voit pour la première fois, mais il n’est pas dangereux. Il rôde, il s’approche, mais il n’a sans doute plus assez de forces pour mener à terme une longue poursuite. Nous pensons qu’il a compris que ses jours sont comptés. Depuis que nous nous sommes aperçus qu’il ne présentait pas de danger, nous l’ignorons.

- Quand même ! Ai-je rétorqué. Il est impressionnant !

- Tu t’habitueras. Dans quelques jours, tu ne feras même plus attention à lui.

- Pourtant monsieur Seguin, mon maître, me disait toujours quand je lui disais mon envie de partir dans la montagne : « Mais, malheureuse, tu ne sais pas qu'il y a le loup dans la montagne... Que feras-tu quand il viendra ? Tu te souviens de la pauvre vieille Renaude qui était ici l'an dernier ? Une maîtresse chèvre, forte et méchante comme un bouc. Elle s'est battue avec le loup toute la nuit... puis, le matin, le loup l’a mangée.

- C’est vieux tout ça ! Il est ringard ton Monsieur Seguin ! Il y a belle lurette que les hommes ont fait partir les loups. Ils les ont tellement chassés qu’il n’en reste pratiquement plus. Quelques solitaires, comme celui que tu as vu, trainent sans doute encore, mais guère... Peut être même clui que tu as croisé, est-il un des derniers. Les hommes nous ont bien rendu service. Au moins, maintenant, on peut vivre et brouter librement, en paix.

« Je n’étais pas totalement convaincue, monsieur Seguin . Je revoyais le loup, immobile, assis sur son train de derrière, me regardant et me dégustant par avance. Je me souvenais combien je m’étais sentie perdue, face à ses yeux cruels. J’avais pensé mourir de peur… »

- Oui, en y repensant, il n’avait pas l’air très gaillard le loup ! ai-je dit à mes amis les chamois. Maigre, décharné, comme s’il n’avait pas mangé depuis plusieurs jours…

- Ne t’inquiète pas pour lui, rétorqua une vieille biquette ! Qu’il crève ! C’est ce qui pourrait arriver nous arriver de mieux.

Quelques jours passèrent. Je suis resté avec le groupe des chamois. Nous n’avons pas revu le loup, et nous avons pu profiter pleinement du soleil et de l’herbe tendre de la montagne.

Je me sentais bien.

Et puis un jour, alors que je paissais tranquillement au milieu de mes compagnons, une lambrusque à belles dents, nous vîmes un peu plus loin, mon loup solitaire, assis sur ses pattes de derrière, qui lorgnait d’un œil concupiscent, des petits agneaux en train de jouer prés d’une mare.

Visiblement, ceux ci ne l’avaient pas vu. Inconscients du danger, ils folâtraient prés de la berge, s’aspergeant d’eau en riant.

Je sentis brusquement monter la tension dans le groupe. Le sang de mes compagnons ne fit qu’un tour. Il se précipitèrent en chœur vers le loup afin sans doute, par précaution, de l’éloigner des petits, pensais je.

Je suivis donc le mouvement.

Le prédateur étonné, se retourna, fixant un moment de ses yeux pointus et graves cette charge insolite, ne pouvant imaginer qu’elle était dirigée contre lui, habitué qu’il était à poursuivre plutôt qu’à être poursuivi.

Trop étonné sans doute pour y croire, il ne bougea pas.

La troupe l’attaqua alors violement, profitant de sa stupéfaction pour lui infliger de sanglantes blessures avec leurs cornes aiguisées.

Je me joignis à la curée, tout à coup bien décidée moi aussi à me débarrasser une fois pour toutes de cet encombrant voisin.

Remis de sa surprise, le loup se défendit vaillamment. Plus de dix fois, je ne mens pas Monsieur Seguin, il nous força à reculer. Pendant ces trêves d’une minute, il léchait ses plaies en hâte et retournait au combat.

Mais il a dû céder devant le nombre.

Epuisé, il me regarda et, pendant un court instant, je crus déceler dans son regard une tristesse infinie.

Mais je chassais rapidement cette image trompeuse, repensant à toutes les petites chèvres innocentes, si tendres, si douces, qu’il avait dévorées sans pitié ? Et si ce n’était pas lui, n’était ce pas son frère, ou bien quelqu'un des siens ?

Toutes, Monsieur Seguin ! Toutes vos protégées ! Vous le savez bien vous ! Il les a toutes tuées et dévorées ! Ah, je n’ai pas oublié l’histoire de la Renaude, vous savez !

Et, d’un coup de corne rageur, c’est moi qui ai achevé la bête !

………………………..

Monsieur Seguin faisait grise mine, pas satisfait du tout du récit de Blanquette. Il n’appréciait pas non plus le regard et le sourire mauvais qu'elle avait affiché tout le long de son récit.

Certes les loups étaient responsables de la mort de ses chèvres, mais il n’aimait pas la façon dont sa « douce » blanquette et ses compagnons s’étaient débarrassés de leur ennemi héréditaire.

Il se sentait confusément une part de responsabilité dans ce qu’il fallait bien appeler un assassinat. Car il avait en effet l'impression d'avoir entendu le récit d'une exécution, d'une mise à mort vengeresse, et cela le chagrinait, sans qu’il sache très bien pourquoi.

Dans sa bouche, il sentait une amertume tenace.

Il n’invita donc pas Blanquette à rester, ou même à se reposer une nuit, dans son étable.

D’ailleurs, elle ne lui demanda rien. Elle repartit toute sautante dans sa montagne, débarrassée de tout danger.

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Ce que n’a pas pu raconter la petite chèvre, parce qu’elle l’ignorait, c’est que les agneaux qui jouaient prés de la marre, ceux qui avaient involontairement provoqués l’attaque de leurs parents, batifolaient là depuis fort longtemps. Et, comme seules sans doute les jeunes créatures en sont capables, ils s’étaient rapidement persuadés après avoir jeté de nombreux coups d’œil au loup qui les regardait à distance, qu’ils ne risquaient rien.


A tort ou à raison, ils avaient senti, que cette bête n’était pas dangereuse et ils l’avaient rapidement oubliée pour se consacrer au seul plaisir du jeu.

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