Et si l’imaginaire, c’était le paradis ?
- sergepons
- 30 août 2015
- 4 min de lecture

Paul n’avait pas choisi de se retirer du monde.
Mais à force de silence, de renoncements, de paresse aussi sans doute, on s’isole.
Pourtant, sa porte demeurait ouverte, mais plus personne ne venait le voir. Sa soeur de temps en temps, mais sans enfants, sans ami véritable, ne faisant plus l’effort d’aller vers les autres, il se retrouvait seul et ne s’en plaignait pas.
Dans sa campagne, entouré de son dernier chat, il passait désormais ses journées à ne rien faire d’autre que rêver du passé.

Longues promenades le jour et, les soirs d’hiver devant un feu de cheminée, il fixait les flammes pendant des heures. Plus de télévision, plus de radio, fin de la pollution. Un livre, une musique de son choix, son chat sur les genoux… l’esprit prenait le large.
A sa mort, Paul ne manqua à personne. Une luciole qui s’éteint, ça ne se remarque pas.
Il n’avait jamais cru à l’au delà, à la résurrection, à la réincarnation, à toutes ces fadaises que les homme s’inventent, en guise de consolation.
Aussi, quelle ne fût pas sa surprise lorsque devenu pur esprit, enfin débarrassé des douleurs d’un corps perclus de rhumatismes, il se retrouva batifolant dans les nuages, plein d’allant et d’insouciance.
Légèrement ivre, il tourna une dernière fois les yeux vers sa chaumière, afin de s’assurer que sa sœur, en train de débarrasser ses maigres affaires, récupérait aussi sa chatte, qu’il lui avait demandé de bien vouloir prendre avec elle après sa mort.
Comme elle aimait autant les chats que lui, Titine serait heureuse avec elle.
Rassuré, il reprit son vol, se dirigeant vers un point lumineux brillant dans le ciel, qui semblait lui faire signe.

- Paul ! Enfin c’est toi ! Tu en as mis du temps !
- Par quel miracle !… Que je suis heureux de te revoir, Lyne ! Sais tu que je n’ai jamais cessé de penser à toi, toutes ces années ?
- Oui, Paul, je le sais. Je suis venue te voir si souvent dans tes rêves.
- Oui, j’ai tant rêvé de toi. Tu sais tout alors?
- Je crois bien que oui ! Tu n’as plus aucun secret pour moi…
- Excuse moi, j’arrive juste ! J’ai encore du mal à m’y faire… Lyne, dis moi…tu m’attendais ?
- Bien sûr que je t’attendais. Je n’attendais que toi. Je t’ai toujours aimé. Tu le sais bien.
- Non, non, je n’en étais pas sûr. J’ai toujours eu des doutes. Il me semblait bien que je ne t’étais pas indifférent. Mais de là à penser que tu m’aimais…Mais toi alors, tu sais donc combien tu m’as manqué ? Combien j’ai regretté ?…
- Oui Paul.
- Tu sais alors aussi pourquoi je suis parti, comme ça, un jour, sans rien pouvoir dire, alors que je tenais de plus en plus à toi ? Alors que je n’ai jamais aimé que toi ?
- Oui, maintenant oui, je sais. Mais toute ma vie sur terre j’ai souffert de ton départ si brusque, sans motif apparent. Je ne comprenais pas. Et puis, après ma mort, peu à peu, en te suivant dans tes pensées et dans tes rêves, j’ai compris.
- J’avais fini par me persuader qu’il était préférable pour nous deux que je parte. Un jour en parlant de nous, je ne sais pas si tu t’en souviens, tu as eu cette parole énigmatique qui m’a troublé mais qui a fait ensuite son chemin dans mon esprit. Tu m’as dit : « Nous deux, c’est trop et pas assez » !
Difficile d’interpréter cette énigme, mais je crois qu’au fil des jours et des mois qui ont suivi, j’ai fini par comprendre le sens de cette remarque. Je me suis rendu compte, que tu percevais en moi, sans en comprendre peut être le sens profond, une lacune profonde, pour toi rédhibitoire. Tu me voyais manquant de solidité, de présence dans les actes du quotidien…
Profond dans l’analyse, mais handicapé dans la vie, gentil rêveur mais inconséquent, adeptes d’idées magnifiques, mais en même temps si enfantin !
A ton contact, par ton exigence non exprimée à mon égard, j’ai beaucoup réfléchi et appris sur moi. Des choses tapies dans mon inconscient, que j’ai pu mettre à jour et vérifier souvent par la suite. Je suis parti parce qu’il m’a semblé que, tel que j’étais alors, je ne pourrais que te décevoir.
Plus tard, loin de toi, j’ai lutté pour te mériter. J’ai compris ma nature de cigale. Je n’ai pas pu en changer, car on ne change pas, mais en acceptant ce que j’étais au fond de moi, j’ai appris la patience, j’ai appris le respect de soi et des autres, j’ai appris la modestie.
Bref, voilà qu’enfin, peut être, j’allais te mériter, mais il était trop tard. Trop de temps avait passé.
- Chuuuuuuut... C’est comme ça, et c’est tout… Même mort, je vois que tu es toujours aussi bavard !
En riant, Lyne forma l’image d’une caresse dans son esprit, que Paul sentit se poser sur sa joue.
- Nous voilà réunis pour l’éternité Paul. Nous avons…tout le temps !....Tu te rends compte ce que cela veut dire ?
- Pas vraiment non ! Tu sais, l’éternité, c’est nouveau pour moi !
S’esclaffant comme deux enfants qui se retrouvent après une longue séparation, ils partirent ensemble en déployant leurs ailes, main dans la main, vers d’autres nuages, d’autres horizons, dans l’infini du ciel et, s’ils ne se marièrent pas et n’eurent pas d’enfants, ils n’en connurent pas moins le bonheur d’être enfin réunis, sans contraintes, pour un très très long voyage au paradis de l’imaginaire…
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